FONTE SOLIDAIRES.ORG
Les coursiers de Deliveroo passent à l’action pour dénoncer leurs conditions de travail. Ce lundi 8 janvier, une délégation a rencontré la direction à Bruxelles. Après le refus de celle-ci d’accepter leurs revendications, une trentaine de coursiers ont manifesté et d’autres ont refusé de prendre les commandes. Avant sans doute de nouvelles actions. Quelles sont les raisons de leur colère ?
« Tu aimes le vélo ? Tu revendiques ton indépendance ? Deviens partenaire coursier Deliveroo et accède à des revenus rapides et significatifs avec un emploi du temps flexible ! » La pub du site de Deliveroo touche de nombreux jeunes qui ont besoin de gagner leur vie. Mais les coursiers en ont marre de leurs conditions de travail.
Deliveroo est une plate-forme de livraison de repas à domicile fondée en Grande-Bretagne et aujourd’hui active dans 12 pays. Créée en 2013, elle affiche un chiffre d’affaires de 146 millions pour l’année 2016. Soit une hausse de 611 % en un an.1
Derrière ces chiffres se cachent des jeunes, étudiants ou non, qui voient l’occasion de gagner (un peu) d’argent en faisant du vélo. Mais qui se retrouvent seuls, sans contrat de travail ni assurance digne de ce nom. Deliveroo a en effet choisit de ne plus octroyer de statut à ses livreurs, qui vont devoir passer tous sous le statut précaire d’indépendant à partir du 31 janvier 2018. Et renoncer à une assurance-travail « normale » : à partir de cette date, le plafonnement de l’assurance sera de 1 500 euros. Sachant qu’un court séjour à l’hôpital crève déjà ce plafond…
Mais les coursiers ne se laissent pas faire. A l’appel du Collectif des coursiers/ères Belgique, une cinquantaine d’entre eux se sont rassemblés à Bruxelles en novembre dernier. Pour dénoncer le changement de rémunération (alors qu’ils sont payés à l’heure pour le moment, ils seront payés à la course), le manque d’assurance, et plus globalement d’être considérés comme des travailleurs-kleenex.
Rencontre avec deux d’entre eux, sous couvert d’anonymat. Ce qui en dit beaucoup sur le climat qui règne dans cette entreprise-modèle pour les libéraux…
Balou, 19 ans, étudiant
« Je suis livreur pour Deliveroo depuis un an et demi. J’ai vu une pub sur Facebook et j’avais des amis qui y travaillaient déjà. Vu que j’aime le vélo, je me suis lancé.
Je travaille chaque jour, entre 3 et 4 heures. Je vais à l’école jusque 16h30, puis je commence mon shift à 18h30, jusque 22h30 parfois. On a une application d’horaire. On postule pour un shift dans une zone définie, puis on attend qu’un administrateur valide ou pas. Quand on est accepté, on se rend au centre de la zone. Les zones ont un rayon de 2,5 km. Une fois arrivé, j’active l’application faite pour les livreurs. Une fois en ligne, Deliveroo nous dit d’aller à tel endroit. Mais on peut rester longtemps sans avoir de livraison à faire. Je reste parfois une heure et demie sans avoir rien à faire. Pour le moment, je touche 9,41 euros par heure. Deliveroo veut nous payer 5 euros la course. Ce qui fait que je pourrais bosser 3 heures pour 10 euros si je suis dans une zone où il y a peu de commandes…
C’est compliqué d’agir car nous sommes tous isolés. C’est pour ça qu’une action collective comme celle-ci est importante. La direction a été mise au courant et nous avons reçu un mail (voir ci-contre) qui nous demande gentiment de faire des “feedbacks directs” plutôt que manifester… ça dérange vraiment la direction qu’on fasse ce genre d’actions, ce n’est pas bon pour l’image de la boîte, qui doit être bien lisse…
Ce qui m’avait attiré au début, c’est leur argument qui dit “vous allez être votre propre patron”. Je me suis aperçu depuis que c’était totalement faux. On ne décide de rien et on s’expose à des sanctions si on n’est pas assez rapides, si on refuse trois commandes de suite, etc.
Là, j’aimerais bien arrêter car avec la nouvelle formule d’assurance, on prend de nombreux risques. Pour quelques euros, vu qu’on va être payés à la course… Mais je ne vois pas d’autres endroits où je pourrais travailler. Pour un jeune, il n’y pas beaucoup d’opportunités… »
Mélanie, 28 ans, employée à temps partiel
« J’ai commencé à travailler pour Deliveroo quand j’étais étudiante. Depuis, j’ai continué. J’ai beau avoir fait l’université et avoir un diplôme en communication, je ne trouve pas de job stable.
Mais là, je vais devoir arrêter. Deliveroo casse notre statut pour que nous devenions des indépendants. Mais je n’ai pas l’argent nécessaire pour obtenir un numéro de TVA, condition nécessaire pour avoir le statut d’indépendante.
J’ai vraiment envie de me battre contre tous les flexi-jobs
Il y avait déjà une compétition entre livreurs. Ceux qui vont le plus vite peuvent décider plus facilement de la zone et de l’horaire qu’ils veulent faire. Mais avec ce nouveau fonctionnement, il va y avoir de nombreux blessés, si pas pire. C’est déjà dangereux maintenant à cause de certains conducteurs qui ne font pas attention aux vélos, mais là, on va devoir rouler encore plus vite pour avoir un revenu décent. ça va devenir une vraie course…
J’en ai marre des jobs “flexibles”. Et travailler pour Deliveroo ou les autres entreprises similaires, ce n’est pas valorisant du tout. On prend des risques, on respire la pollution de la ville, et on est considérés comme de la m…
Le pire, c’est que si on se plaint ouvertement des conditions de travail, on se fait virer purement et simplement, sans préavis. Si on décide de faire grève : virés. Si on veut parler à la presse : virés. Un collègue en a fait les frais il n’y a pas longtemps… En vous parlant, là, je peux me faire virer. Enfin, même pas, vu que Deliveroo ne nous considère pas comme des salariés. Donc ils n’ont qu’à nous retirer de leur base de données pour qu’on se retrouve sans rien… Mais bon, là j’arrête, j’en ai marre. On nous vend ces jobs comme étant “flexibles” mais les jobs ne le sont absolument pas. La flexibilité, elle vaut pour les travailleurs. Et uniquement pour eux. J’ai vraiment envie de me battre contre tous les flexi-jobs… »
1. « Sa nouvelle levée de fonds valorise Deliveroo à 2 milliards de dollars », Le Figaro, 25 septembre 2017.