Danny a travaillé pendant des années dans un call-center en Belgique. Jusqu’au moment où, en 2013, le propriétaire américain a transféré toutes ses activités vers les Pays-Bas. Danny a commencé à y travailler. Ce qu’il a vu fait peur…
Avez-vous obtenu d’emblée un contrat à durée indéterminée?
Danny. Moi, en tant que cadre, oui. Mais la plupart des travailleurs ont obtenu ce qu’on appelle un contrat flexible. Sa durée était le plus souvent de trois mois. Il y avait des contrats de 32/40, 24/32 ou 24/40, etc. Le premier chiffre représente le nombre d’heures par semaine, le deuxième le maximum d’heures. Des employés « flexibles » ne sont jamais certains de pouvoir prester beaucoup ou peu d’heures. L’écart en matière de revenus peut être énorme. Les employés n’avaient aucun choix. Tout dépendait du chiffre d’affaires. S’ils avaient besoin de vous, vous deviez venir travailler, sinon vous restiez à la maison, sans salaire. Même les jours de congé dépendaient partiellement de l’employeur. Celui-ci peut planifier un tiers de vos jours de congé. Ces jours étaient utilisés pour remplir les creux lorsqu’il y avait un peu moins de travail.
Qui était soumis à ce statut de flexibilité?
Danny. Beaucoup de jeunes. Surtout pour des raisons financières. Etudier coûte cher aux Pays-Bas. De nombreux étudiants croulent sous les dettes. Dans mon équipe, beaucoup de jeunes avaient une maîtrise. Pendant leurs études, ils viennent déjà travailler, presque à plein temps. Il y avait toutefois aussi des jeunes de 20 ou 22 ans qui voulaient se construire un avenir par ce travail. Leurs rêves s’avéraient souvent illusoires. La plupart des contrats à durée déterminée arrivaient à échéance après un petit temps. Au lieu d’octroyer des contrats à durée indéterminée, l’employeur était toujours à la recherche de nouveaux « jeunes jetables ». Si vous deveniez malade, tout un processus de contrôle de l’absence s’enclenchait et des pressions étaient exercées sur les employés pour qu’ils travaillent quand même. Ils devaient téléphoner quotidiennement au contrôleur et discuter avec lui de leur état de santé.
Ces jeunes s’en tiraient-ils financièrement?
Danny. Pas du tout. Chacun touchait un salaire minimum : un peu plus de 9 euros l’heure. Les travailleurs temporaires n’avaient quasi pas de droits. Aucune contribution n’était faite pour leur pension. Et leur salaire était amputé de 70 euros par mois pour l’assurance soins de santé. Ils devaient avancer leurs propres frais de transport. Ceux qui venaient en voiture devaient même payer le parking de l’entreprise. Il n’y avait pas de chèques-repas, alors que la cafeteria était chère. Les jeunes devaient fouiller leurs poches pour pouvoir payer leur train ou leur essence.
Comment aves-vous géré personnellement ces situations ?
Danny. J’ai tenté de corriger, tant que faire se peut, la situation sur le plan social en « attribuant » plus d’heures à des jeunes financièrement en difficulté. Ou en ne signalant pas au coordinateur des arrêts de travail l’absence d’un jeune qui était resté chez lui parce qu’il ne pouvait pas payer son ticket de train. Mais après un an, j’en ai eu assez. Je ne pouvais plus supporter de voir l’exploitation et je suis revenu chercher un job en Belgique. J’espère naturellement que nous n’allons pas nous trouver dans la même situation ici.
Article publié dans le mensuel Solidaire de novembre 2017. Abonnement.