Audi Forest : « Des semaines de 45 heures à la chaîne, c’est intenable »
Des semaines de 45 heures, 5 fois 9 heures de travail par jour dans une usine de production à la chaîne. C’est le projet de la direction d’Audi qui souhaite imposer temporairement ce régime aux 2 600 travailleurs de l’entreprise forestoise. Une mesure qui aurait aussi un impact sur les 4 000 travailleurs des sous-traitants.
Pour pouvoir accueillir le nouveau modèle électrique SUV en 2018, l’usine doit réaménager ses infrastructures. Cette situation exceptionnelle occasionne de gros travaux qui nécessitent la concentration de la production de l’actuel modèle A1 sur certaines périodes. Pour réaliser ses objectifs de production, la direction d’Audi a développé son plan : l’introduction temporaire d’une semaine de 45 heures (5 journées de 9 heures, pour la pause de l’après-midi). Ce plan a été rejeté il y a quelques jours en front commun par les délégations syndicales de l’entreprise, relayant le mécontentement et l’inquiétude d’une grande partie des travailleurs.
La pilule est d’autant plus difficile à passer que cette proposition tombe quelques semaines à peine après les résultats inquiétants d’une enquête réalisée dans l’entreprise par la direction elle-même. Elle a révélé de multiple troubles dont sont victimes les travailleurs : problèmes musculo-squelettiques, fatigue, troubles du sommeil, troubles digestifs, vertiges, hyperactivité, consommation abusive d’alcool… Dans cette entreprise où la moyenne d’âge est élevée, les problèmes de santé se soignent aussi plus difficilement. Alors, quand on leur parle de travailler jusqu’à 9 heures par jour, les avis sont tranchés : « Je ne vois pas comment je pourrais tenir. Une heure de plus sur une chaîne qui produit environ 270 voitures par équipe, c’est une éternité. C’est intenable », témoigne un ouvrier de 50 ans. Dans une entreprise bruxelloise où à peine 10 % des travailleurs habitent la région, le temps des trajets pèse aussi dans la balance : « Arriver chez moi après minuit après une journée sur la chaîne de 9 heures, c’est la folie ! Non seulement ce sont des risques sur la route, mais, surtout, quand est-ce que je vois mes enfants ? », réagit un jeune ouvrier du montage.
32 millions de bénéfices pour les actionnaires
Depuis la reprise du site (autrefois VW) par Audi, les travailleurs ont déjà fait de nombreux efforts. La charge de travail a été particulièrement alourdie ces dernières années. Une forme d’annualisation du temps de travail, l’actuel cheval de bataille du ministre de l’Emploi Kris Peeters (CD&V), est déjà d’application depuis plusieurs années dans l’entreprise.1 Dans ce système, les travailleurs d’Audi sont amenés, maximum 12 fois par an, à faire des semaines de six jours. Récemment, la vitesse de chaîne a été accélérée de trois secondes. La direction s’est même attaquée aux pauses. Les trois pauses collectives ont désormais été remplacées par deux pauses individuelles et une pause collective, de quoi altérer la qualité de vie dans l’entreprise.
A qui profitent tous ses efforts ? En tout cas pas aux travailleurs d’Audi et des sous-traitants qui, même s’ils se réjouissent de l’arrivée du nouveau modèle, ressentent lourdement les effets de l’intensification du travail. Mais ce sont sans conteste les actionnaires de la marque qui profitent des bénéfices en hausse d’année en année. L’année dernière, Audi Forest a engendré 32 millions de bénéfices après impôts. Elle bénéficie également de très gros subsides : pas moins de 130 millions d’euros publics seront injectés dans les prochaines années pour soutenir la production du nouveau modèle.
Inverser la tendance
Sans les travailleurs, les actionnaires n’empocheraient pas de généreux dividendes. Ce sont les salariés d’Audi qui produisent concrètement les voitures. Il faut les protéger. Pourquoi devraient-ils être la seule « variable » qu’on pourrait modifier selon les bons désirs du management ? Pourquoi ne pourrait-on pas jouer sur d’autres paramètres qui, eux, ne seraient pas nocifs à la santé et à la qualité de vie ? Par exemple, en retardant de quelques semaines le lancement du nouveau modèle électrique ? Cela permettrait de gagner du temps de production. Si on veut étendre les plages de production, pourquoi ne pas réduire le temps de travail avec une semaine de 30 heures en 3 équipes de 6 heures ? Ou d’autres pistes encore qui protègent les salariés plutôt que les presser.
Plus globalement, le PTB souhaite lancer un large débat public sur la semaine des 30 heures, avec maintien du salaire. Des expériences similaires sont en cours en Suède et les premières leçons sont inspirantes : des effets positifs sur la santé et le bien-être des travailleurs, de nouveaux emplois créés. Une partie des bénéfices réalisés par les travailleurs d’Audi pourrait servir à réduire collectivement le temps de travail, plutôt qu’à l’augmenter. Le concessionnaire Toyota à Göteborg travaille depuis une dizaine d’années déjà au rythme des journées travail de 6 heures (en 2 équipes). Un investissement qui a rapporté à l’entreprise puisque même la direction y trouve son compte.